Chapitre 42

Tout se passait comme prévu. Flauta, Aléak et Sonemith avaient été attachés par de solides cordes, puis entassés sur le dos d'une Dragodinde. L'homme-chat faisait tranquillement sa sieste, après le combat qu'il venait de mener.... Sa réaction était inexplicable, et dans l'hypothèse où ce serait son étrange épée qui lui aurait donné ce pouvoir, Sonemith aurait voulu l'examiner de plus près.... malheureusement elle était dans les mains de leurs ravisseur...

• Hey, tu crois que ça marche comment, ce truc?
• L'écaflip avait appuyé sur la lame, non ?
• Crétin, ça fait rien quand j'le fais, moi!
• C'est parce q't'es trop con!

La lame était t-elle ensorcelée à ne répondre qu'à son maître? Un tel enchantement demandait des années d'expériences, et elle doutait que Aléak les ait...
Elle fut sortie de ses pensées par une révélation. Elle repensa aux informations qui lui avaient été données. "Deux groupes de bandits se dirigeant vers le Nord." Ceux qui les avaient capturés étaient sûrement l'un d'entre eux.

• Euh, excusez-moi, messieurs ? commença t-elle.
• Quoi, qu'est-ce qu'elle a, la gamine ? lui répondit un Iop.
• Auriez-vous vu un vieil ouvrage relatant des aventures de Litten ?
• C'est quoi un ouvrage?
• C'est comme une œuvre d'art non?
• Tu nous prends pour des intellos ou quoi ?

Effectivement, ils n'avaient pas l'air très littéraires. Elles se doutait même qu'ils sachent écrire...
En tous cas, ce n'était pas ceux qui avaient dérobé le livre. Elle soupira. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois.

Il passèrent le reste du voyage tranquillement, bien qu'il était peu confortable. Au petit matin, ils arrivèrent enfin à Beresan. Loin d'être aussi joyeux et prospère que la ville d'Astrub, Beresan était tout de même vivable, et son marché où tout se vendait; nourriture, armes, armures, prostitués et esclaves, faisait sa renommée, auprès des plus vils et fortunés.
Une place semblait toute prête à les accueillir. Plusieurs hommes et femmes défilaient dessus, le visage assombri ou inondé de larmes, tandis qu'un osamodas trapu beuglait de sa grosse voix.

• Et un eniripsa! Voyez, demoiselles, comme il est svelte et, ho, ce regard! Votre mari en serait jaloux! Mise à prix d'un million de kamas, qui dit mieux ?!

Des gloussements de vieille mégère se firent entendre parmi l'assistance. L'eniripsa en question lui, n'avait pas le cœur à rigoler. Il baissait la tête honteusement en se retenant de pleurer. Sonemith se demanda alors si l'idée que Aléak avait eue se révélerait fructueuse... Elle croisa le regard de Flauta, qu'elle essaya de rassurer d'un regard maternel, bien que elle-même prenait peur...
Ce fut leur tour de parader devant les clients.

• Et voilà la nouvelle cargaison, toute fraîche de ce matin! Que de la qualité, messieurs-dames! Un chaton à la fourrure soyeuse, idéal pour servir de tapis mural! Les poils d'Aléak s'hérissèrent. Et qu'avons nous là ? Deux bonnet B, dont une blonde aux yeux bleus! Que d'la qualité, j'vous dit!

A ces mots, Flauta poussa une longue série de jurons et de mots blessants, faisant reculer légèrement l'assemblée. La rousse, à défaut d'incantations éniripsa, se contenta de faire des grimaces dignes de Bworks en pleine crise d'acnée, ayant pour but d'essayer de dissuader tout éventuel acheteur.

• Et quatre millions pour la langue de vipère, adjugé vendu!

Aléak et elle virent avec frayeur leur amie quitter l'estrade, embarquée par un vieux pandawa, et pria pour qu'elle puisse s'échapper lors d'un moment d'ivresse de son acheteur. Elle était consciente que ce serait bientôt son tour...

• Oh, une nouvelle livraison! L'osamodas éclata d'un rire bourru.

Alors qu'elle suivait Flauta des yeux, elle tomba sur un autre visage connu.

• ... Non.. SYLPHAIS !!

Elle tenta de se lancer vers l'avant, mais ses pieds liés la firent s'écrouler sur scène, déclenchant l'hilarité chez le public. Elle se releva tant bien que mal, tandis que le bourreau se dirigea vers le sram, et déchira son haut sans ménagement.

• Et voilà un spécimen rare! Regardez ce torse, l'est aussi blanchâtre que les ch'veux de ma mémé!

Nouvel éclat de rire. Sylpahïs, lui, semblait en proie à un cauchemar. Elle se souvint de ses paroles à propos des marchands d'esclaves. Il avait l'air encore plus renfermé qu'a son habitude. Elle vit alors un sacrieur borgne tenant de communiquer avec le vendeur malgré le brouhaha environnant, mais elle n'entendait que les paroles de ce dernier.

• Comment ça, deux millions? J'lâcherai pas l'albinos à moins de cinq! ... Ah si c'est pour la gamine, c'est d'accord!

Il fit signe à la rousse d'avancer, quittant à regrets ses équipiers toujours sur l'estrade. Elle se retrouva propulsée vers son acheteur. Vu de près, elle avait l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Une fois la transaction effectuée, il la guida à l'extérieur de la ville. Il n'avait pas prononcé un mot de tout le trajet, et Sonemith n'avait pas parlé non plus, trop occupée à trouver un moyen de prévenir Enki. Sa flûte aurait pu lui servir à appeler à le Tiduc messager, mais elle l'avait confié à l'enutrof...
Ils entrèrent dans un manoir plutôt lugubre, dont le grincement de la porte d'entrée avait prévenu le propriétaire des lieux de leur arrivée. Une voix chevrotante cria alors:

• Mon tofu adoré, tu es rentré?

_______________________________

Le voyage de Sylphaïs ne fut pas d’un grand confort : il était installé dans une cage en bois, pieds et poings liés, sur une carriole qui ne connaissait pas l’existence des suspensions. Les brigands devisaient allègrement, bavardant femmes ou picole tout en se moquant des prisonniers. Ils n’étaient que deux à être enfermés : Sylphaïs et un petit pandawa vêtu de hardes qui se tenait recroquevillé dans un coin de sa cage. On avait passé un collier de métal autour du cou du sram, ce qui ne manqua pas de lui rappeler de difficiles souvenirs. Les brigands lui avaient enlevé tous ses habits, ne lui laissant que sa chemise sans manches et son pantalon, ainsi que sa faux, ses dagues et son sac. Le voyage leur prit la journée et une partie de la nuit.

Au jour levant, on amena les deux prisonniers sur la place marchande. Après plusieurs minutes de déambulation, ils arrivèrent près d’une estrade où officiait un osamodas armé d’un fouet et qui tentait de vendre sa « marchandise ». Les gens se pressaient pour voir les esclaves. D’un seul coup, l’osamodas chopa Sylphaïs par les cheveux. Il jeta un regard empreint de peur au vendeur. Sonemith tenta tant bien que mal de le sauver, mais elle ne réussit qu’à se retrouver par terre. Le bourreau arracha alors l’habit du sram et le jeta par terre. Le moment où un quidam acheta Sonemith sembla flou pour l’albinos. Puis, un petit homme semblable à un Vot Hoüür se pointa. Il avait un œil qui disait crotte à l’autre, des mains crochues, le crâne dégarni et une voix nasillarde très désagréable. Il tenait un boufton à cinq pattes en laisse et était suivi par une créature étrange, à mi-chemin entre le minotoror et l’humain. L’osamodas l’accueillit à bras ouverts.

• Aaah ! Frougatt ! Mon ami ! Tu sais que tu vas faire une affaire !
• Oui, j’ai entendu dire que tu avais un albinos, les nouvelles vont vite n’est ce pas ?
• Tout juste ! Le voila, il tira sur la chaîne attaché au cou du sram.
• Oh ! C’est un vrai au moins ?
• Que crois-tu ? C’est bien un vrai, oui ! Je te le fais 30 000 kamas !
• 30 000 ? Tu veux me ruiner ? Je le veux à 20 000 !
• C’est du vol ! Mes gars ont eu du mal à l’avoir ! 27 000 !
• 25 000 !
• 27 000 !
• Bon, céda le dénommé Frougatt. Je te le prends pour 27 000 mais tu me donne tous ses effets.
• Tous ? Bon, allez, prends le ! Mais, méfie toi, il est un peu bizarre, il a pas placé un mot de tout le voyage.

Le petit homme difforme saisit les affaires de sa nouvelle acquisition et ordonna à la créature poilue qui le suivait de prendre la chaîne. Il le mena ainsi jusqu'à une autre estrade et le lia à un poteau et fit de même avec le semi animal. Les gens les regardaient avec amusement. L’humiliation, encore et toujours … Les larmes du passé envahissaient les yeux du sram. Il ne pouvait rien faire, sinon se laisser faire. La peur revenait comme dans son enfance. Le montreur de monstre était en train de faire défiler un sanglier à deux têtes quand la créature moitié minotoror lança à Sylphaïs d’une voix gutturale :

• Que être nom de toi, homme blanc ?

C’était du langage minotoror, pensa le sram. Il devrait lui répondre de la même manière.

• Nom de moi être Sylphaïs.
• Moi ne comprend pas nom de l’homme, rétorqua le taureau humain intrigué.
• Enfant de neige être nom de moi …
• Oh ! Moi être de nom Sabot de fer, mais petit homme rat m’appeler Tauréide, fit la créature en pointant le montreur du doigt. Moi pas comprendre ce nom.
• La tête de petit homme rat être malade, lui doit dormir pour toujours et toi doit partir.
• Moi vouloir partir, mais vouloir moi pas tuer lui …

Sylphaïs soupira. Frougatt s’approchait de lui, c’était l’heure de son numéro visiblement.

• Lèves toi, l’albinos !

Le sram ne bougea pas …

• Allez !!

L’homme sortit un fouet et commença à frapper Sylphaïs. Ses yeux s’ouvrirent en grand et il se leva d’un bond dans un élan de fureur. Il attrapa le petit bossu par la gorge.

• PLUS JAMAIS TU NE ME MENACERAS !!! PLUS JAMAIS CA !!

Des pointes en os jaillirent des poignets du sram sous l’effet de sa colère. Il transperça le palais de son tortionnaire et arracha le trousseau de clé qu’il portait au cou, sous l’œil terrifié de la foule qui n’osait pas bouger. Sylphaïs défit la chaîne qui le retenait ainsi que celle de Sabot de fer.

• Sabot de fer peut s’en aller !
• Enfant de neige est bon ! Sabot de fer se souviendra de lui dans sa tête !

Sylphaïs eu un pâle sourire, puis il récupéra ses affaires en fourrant tout dans son sac tridimensionnel et s’enfuit dans les rues bondées de Beresan …